Née en proche Normandie parisienne de parents
commerçants, j'ai très vite senti que quelque chose "m'inquiétait" dans
ce que je voyais, entendais et comprenais de la vie des gens qui
m'entouraient ou que je rencontrais.
Ils semblaient, pour la plupart, vivre des choses qui ne
les intéressaient pas. Ils semblaient se contraindre à respecter des
convenances auxquelles ils ne croyaient pas. Je trouvais étonnant aussi
qu'ils répètent sans arrêt aux enfants : "c'est pour ton bien" alors
qu'ils semblaient si malheureux de s'appliquer les principes qu’ils
espéraient inculquer. C'était quoi ce bien dont ils parlaient ? Je ne
comprenais pas : "Je fais ça pour ton bonheur !" Que savaient-ils de ce
qui pouvait me rendre heureuse puisqu'ils ne me demandaient pas mon
avis et que de toute façon, je n'en savais rien moi-même ? J'avais en
tous cas la nette impression que la plupart vivait en fonction de ce
qu'allait penser le voisin plutôt qu'en fonction de ce qu'elle
souhaitait (la plupart) et je ne pouvais admettre que la vie se réduise
à cette équation qui me paraissait sans fondement.
Et que d'histoires dans la région pour des mariages
marchandés, imposés, des enfants non voulus, des beaux-parents qui se
mêlaient de tout, des aventures extra-conjugales. Les rumeurs
s'amplifiaient, des réputations étaient brisées pour quelques heures
dans d'autres bras. Tout le monde regardait ce qui se passait chez le
voisin sans jamais se demander comment on pouvait faire autant de mal
chez soi et avec "les meilleures intentions du monde", "Pour ton
bonheur". "Fais ce que tu veux de ton avenir à condition que ce soit à
ma manière d'adulte qui sait tout mieux que toi", "Tu verras quand tu
seras grande !".
Mais je ne voulais pas devenir une grande triste,
rancunière, sacrifiée à la loi du plus grand nombre, attendant un brave
mari avec une bonne situation avec pour seul horizon : subir de temps
en temps la morosité d'un devoir conjugal.
J'étais déjà très rebelle.
Je n'avais pas douze ans !
C'était plus fort que moi, la vie ne pouvait pas être
ça. Je pleurais et vomissais des nuits entières à l'idée que peut-être,
je ne saurais pas échapper à ce sort que j'imaginais et voyais terrible.
Heureusement, j'étais douée pour les études de français
et j'aimais beaucoup lire. Je dévorais des biographies de gens plus ou
moins célèbres qui me prouvaient qu'on pouvait choisir sa vie à la
seule condition de se faire sa propre morale. Je cherchais dans ces
histoires vécues ce qui avait donné à leur héros la force de résister à
ceux qui prétendaient savoir ce qui était "bon pour eux".
Je trouvais la Passion et l'Amour.
L'Amour et la Passion dans toutes les gammes. l'Amour de
Soi, l'amour d'un autre, l'amour des autres, l'Amour de ses rêves,
l'amour qui embellit, l'amour qui dévore, qui étouffe, qui tue. Des
tonnes et des tonnes d'Amour et de recettes d'amour.
Les recettes me laissaient sceptique, amère. L'amour
paraissait trop souvent devoir s'associer au sacrifice, au don de soi.
Qu'est ce que ça pouvait bien vouloir dire le Don de Soi ? Je regardais
autour de moi et je trouvais que ce don de soi coûtait bien cher à ceux
qui en bénéficiaient.
Combien de jeunes de mon âge et des générations
précédentes qui n'ont fait de leur vie qu'un infini devoir de gratitude
envers ces "chers" qui s'étaient donnés, sacrifiés pour eux sous un
surprenant prétexte d’amour ?! Je voulais être libre et ne rien devoir
à personne puisque je n'avais rien demandé.
Si quelqu'un me donnait, c'est que ça devait lui faire
plaisir ! Pourquoi lui devrais-je quelque chose ? Est-ce qu'il m'a
demandé mon avis ? Est-ce que son cadeau ou son aide ou son sacrifice
me convenait, me faisait plaisir ?
“Avec tout ce que j’ai fait pour toi”, cette phrase que
j’entendais souvent dans les familles, me faisait peur de ce qu’elle
sous-entendait. Je me sentais prise dans un énorme contentieux qui
pouvait durer toute la vie si je ne le refusais pas au plus tôt.
Heureusement mes parents n’ont jamais prononcé cette phrase terrible
pour l’avenir d’un enfant.
Ils ne souhaitaient que mon bonheur même s’ils
s’inquiétaient beaucoup de la direction que je lui faisais prendre.
Il faut dire que l’idée que je pouvais me faire de mon
bonheur aurait rendu fous n’importe quels parents. Aujourd’hui, je
réalise encore difficilement l’amour dont ils ont du s’armer pour me
soutenir jusque maintenant.
Je voulais qu'on me demande mon avis et comme ça ne se
faisait pas, je le donnais sans qu'on me le demande et je n'étais pas
entendue.
Que de scènes, que de rebellions, que de bagarres, que
d'insultes et que d'humiliations !
Surtout que j'avais des avis sur Tout.
Ce qui m'intéressait le plus, c'est ce qu'on voulait me
cacher, ce qui faisait mystère, ce qui faisait tourner la tête et la
ville et le monde mais dont personne ne voulait rien dire, à part : "je
ne peux pas t'expliquer, tu es trop jeune", "tu verras ça plus tard" et
le pire : “tu ne peux pas comprendre”.
Je rongeais mon frein et mes questions en lisant
beaucoup, dans le désordre.
J'écoutais tout, plus encore ce qui se disait à voix
basse et derrière les portes.
Ma vie était en moi, je le savais, il ne me restait qu'à
la trouver. Une camarade de classe, plus âgée que moi, Marie-Line,
commença mon initiation sans tout à fait s'en rendre compte. Elle
aimait raconter ses aventures et j'adorais écouter ; je trouvais
formidable que l'on puisse être libre à ce point de son corps et de ses
envies. Elle savait comment on embrasse et aussi que quand ça coulait
rouge entre ses cuisses : ce n'était pas seulement parce qu'il y avait
eu de la betterave au déjeuner. Elle utilisait des tampons ! le summum
de la femme évoluée pour moi qui voyait encore des serviettes de coton
et d'éponge sécher dans les buanderies. Et elle répondait à mes
questions, trop heureuse de me rendre service en partageant sa science
avec une élève aussi studieuse que je l’étais dans les matières
humaines. Qu’elle en soit ici encore remerciée.
J’ai eu d’autres “grandes soeurs” au fil de ma
scolarité, je les choisissais parmi les marginales, parmi celles qui
étaient hors des murs et j’apprenais à vivre hors des miens. Je sentis
très vite que c’était en faisant le mur dans mon imagination et dans la
réalité que j’avais une chance de survie mentale.
À mi chemin entre une ville et des campagnes
catholiques quand j'étais éduquée dans la religion protestante. Rejeton
du peace and love et de la course à la carrière, y compris pour les
femmes. Partagée entre ma situation de fille et petite fille de
notables et l'esprit socialo-associatif de mon entourage proche.
Déchirée entre pruderie, hypocrisie et aventure, liberté, sexe, alcool
et premiers joints,
je passais d'un univers à l'autre avec une facilité
déconcertante, jouant sur tous les tableaux, mentant allègrement,
j'arrivais à faire ce que je voulais en m'attirant le moins de foudre
possible.
Je saisissais toutes les occasions qui se présentaient
ou que je provoquais pour chercher Ma vérité dans les entrailles du
monde.
J'étais déjà tantrique sans le savoir.
Pour fêter l'examen du BEPC, je choisissais et draguais
un garçon de dix ans de plus que moi qui m'emmena sur sa Harley jusqu'à
son 6e parisien sans ascenseur et auquel, je demandais une fois nue
dans son lit, de me dépuceler.
Lui aussi, je le remercie. Je ne sais pas s'il s'est
remis de cette nuit mais pour moi, ce fût une telle déception que je
sortis de ses bras en me disant : "Ce n'est pas ça l'amour, ça ne peut
pas être ça le sexe ! Sinon pourquoi en faire une telle histoire ?"
C'est peut-être ce cri du coeur
qui me poursuit encore :-)
Qu’est ce que l’amour ? Qu'est-ce qu'il y a vraiment
derrière cet enthousiasme, par tous partagé, pour le sexe et les
sentiments ? Et surtout comment se faire plus de bien que de mal avec
cette nitroglycérine qui explosait à chaque instant partout dans le
monde ?
Plus j’avançais, plus le nombre de grandes soeurs et de
grands frères diminuait.
Je passais de bras en sexes, certaine, à chaque fois,
que j'allais apprendre un peu plus.
Souvent désolée, je devais me rendre à l'évidence,
personne n'avait l'air d'en savoir beaucoup plus que moi.
Je n'avais pas vingt ans que j'avais déjà le sentiment
que mes partenaires espéraient beaucoup de l'expérience qu'il m'avait
déjà été donné de connaître.
Je les choisissais pourtant dans toutes les catégories
d'âge, de culture, de responsabilité professionnelle, de niveau social,
de sexe, rien n'y faisait.
Je découvrais toujours quelque chose pour nourrir mes
connaissances certes mais pas une femme et pas un homme qui soit assez
bien dans son sexe et dans sa vie pour m'inspirer confiance dans la
mienne.
Je cherchais des modèles, des références, des réussites
de bonheur avec du sexe heureux dedans, et je rencontrais plutôt des
êtres éparpillés, écartelés, douloureux parfois brisés avec presque
toujours le sexe comme cause et conséquence :
Joël me ferait un enfant et m'enfermerait à la maison.
Chan m'entretiendrait richement contre une sodomie
hebdomadaire.
Patrick m'épouserait si je l'aidais à diriger son usine.
Jean-Marc m'offrait la nuit sous une tente pour que
j'installe dans son anus un collier de grosses perles.
Phallus d'or me proposait ses 35 cm en dot.
Langue de feu voulait que je lui présente une femme qui
chausse au moins du 42.
Philippe me voyait la mère des trois enfants de sa
première femme.
Jennifer appelait mes amants le dimanche dans leur
famille.
Un maquereau braquait un revolver sur ma tempe pour que
je me déshabille devant ses "collègues" et ses "employées".
Une directrice me payait chaque fois que je fumais une
cigarette avec mon sexe sur la scène de son théâtre érotique.
Un réalisateur de films porno mis jusqu'à 7000 francs de
l'heure sur la table pour que j’accepte un âne comme partenaire.
Paul aurait aimé que je viole sa femme.
Un mannequin sri lankais m'initiait au tao.
J'acceptais qu'on me rase le crâne en direct.
Bref, je cherchais que faire
de mes pulsions,
de mon âme,
de ma vie,
de mes grandes espérances d'être un jour
moi-même
et Pourquoi et Comment.
Pendant ce temps-là, je travaillais un peu pour gagner
ma vie en me demandant pourquoi il ne semblait pas possible d'associer
sexe, vie privée et travail sans être prostituée d'une manière ou d'une
autre.
L'avantage des dizaines de professions que j'exerçais de
17 à 30 ans, c'est qu'elles me mettaient toutes en relation avec les
"gens" et toujours en relation avec leur intimité.
En fait, je ne pouvais pas entrer en contact avec qui
que ce soit sans parler du plus crû et du plus intime de sa vie privée
et si possible d’en partager plus que ce qui se disait. Il m'arrivait
même de faire participer spontanément toute une salle de restaurant à
un échange verbal sur la vie sexuelle.
Ma famille a fini par se faire une raison : "décidément,
elle n'est pas faite comme tout le monde mais après tout si ça lui
convient..."
Quelle chance d'être aimée !
D'ailleurs, c'est quand j'ai senti que ma chère famille
pouvait ne plus souffrir à cause de ma vie hors normes que j'ai enfin
accepté de penser sérieusement à l'idée d'une école d'éducation
sexuelle pour adultes. Si je suis tout à fait honnête, cette idée
faisait son chemin depuis bien longtemps dans mon esprit mais je
n'osais croire que c'était possible ni envisager les conséquences que
cela pourrait avoir.
J'ai été très encouragée moralement et aussi
matériellement dès que j'ai fait connaître mon projet autour de moi.
Aussi bien par des amis que par des professionnels du
libertinage, de la sexologie et de la psychothérapie.
Beaucoup auraient aimé que l'idée vienne d'eux mais
réalisaient que ce serait sûrement très difficile de la mettre en
place.
Beaucoup d’autres l'ont rejetée prétextant que s'aimer
et faire l'amour étaiten naturels et qu’une école sur ce sujet était
une ineptie.
Quand on voit que simplement se reproduire n'est pas
tellement naturel pour les mammifères dits évolués que nous sommes, on
peut imaginer ce que "faire l'amour" peut soulever comme problèmes et
qu'on ne fera pas l'économie d'en apprendre quelque chose pour aimer
mieux et faire l'amour plus intelligemment.
Du jour où ce rêve d'ouvrir une école est devenu une
possible réalité, je me suis sentie tout à fait bien. J'avais l'intime
conviction que c'était juste, pour moi-même et pour celles et ceux qui
s'interrogeaient comme je m'interroge depuis toujours.
Dix ans se sont passés depuis le début de cette
expérience majeure et je n'ai pas le moindre regret.
J'ai repris les études que je n'avais pas eu le temps
de faire
(je ne pouvais pas être à la Faculté et à l'université
de la Rue dans les mêmes années !)
je continue de lire beaucoup, d'apprendre tous les
jours, de poursuivre une psychanalyse et d'aimer l'intime des gens que
je rencontre.
Peut-être vous en ai-je dit trop
ou peut-être, pas assez,
je ne sais pas.
J'ai l'impression que je pourrais présenter le parcours
qui fait ce que je suis aujourd'hui en mille pages et que rien ne
serait dit.
Il me semble que pour connaître et pour comprendre
quelque chose à quelqu'un, c'est son attitude, son travail, sa création
qu'il faut rencontrer.
C'est ma proposition !
Au travers de ce site que je livre à votre curiosité, à
votre attention et à votre recherche...
En attendant de vous retrouver au travers des questions
que vous avez envie de nous poser et de l’aide qu’il nous sera possible
de vous apporter.
Hélène Lechevalier (2001)
Depuis 2014, je vis en partie dans le Loir-et-Cher et
viens à Paris dans la Grotte quelques jours par mois où je retrouve
celles et ceux avec lesquels nous travaillons individuellement. Avec
ces mêmes et avec d'autres nous travaillons aussi par Skype qui
m'apparaît un peu plus chaque jour comme un outil formidable permettant
de maintenir une relation de travail hebdomadaire libre des contraintes
de l'espace et du temps.
Je partage une maison avec un couple d'amis dans
laquelle et avec eux nous expérimentons quotidiennement l'attention aux
réalités matérielles et humaines.
Chacun de nous est un Soi en continuelle évolution à
travers la mise en oeuvre de travaux, d'aménagements, de créations et
partages de repas, de réalisations artistiques, de tâches ménagères et
au jardin, de moments de silence, de solitude, de contemplation de la
nature...
Puis la nécessité d'un territoire encore plus personnel
est devenue impérative et en janvier 2017, je suis devenue habitante de
la Cabane,
une bicoque au milieu des bois sans eau ni électricité que je partage
avec les occupants en titre : la faune et la flore locales.
Là, je me sens encore plus seule et à la fois encore
plus ouverte au monde... encore surprise que ce fantasme soit devenu
réalité et souvent étourdie devant tant d'infini et de possibles.
Nous sommes le lundi 28 août 2017 et je ne sais rien de
ce sera demain et c'est bien ainsi.
Tout ce que je sais, c'est que la Grotte à Paris, la
Cabane près de Vendôme et moi-même restons accessibles et disponibles
pour celles et ceux qui souhaitent cheminer vers eux-mêmes avec notre
aide.
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